Contrôler la Psychiatrie ?

Sous l’impulsion du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’Homme, le législateur français a, avec l’adoption de la loi du 5 juillet 2011, consacré un dispositif de contrôle systématique et à bref délai, par le juge des libertés et de la détention (JLD), des mesures administratives d’admission ou de maintien de patients sous un régime de soins psychiatrique sans consentement. La compétence du juge judiciaire a plus récemment été étendue, par une loi du 22 janvier 2022, aux décisions de mise à l’isolement ou en contention prises par les psychiatres et imposées aux patients hospitalisés sous un tel régime. Ce renforcement du contrôle de la contrainte en psychiatrie a pu légitimement être salué comme un progrès du point de vue de la protection des droits fondamentaux du patient, alors que sous l’empire de la loi « Esquirol » de 1838, puis de la loi 27 juin 1990, un malade pouvait être interné de manière prolongée, sur décision administrative, sans que l’intervention d’un juge ne soit légalement requise. Dans le même temps, cette extension du contrôle – dont certains affirment qu’elle aurait fait passer la psychiatrie « d’une zone de sous-droit à une zone de sur-droit » -, suscite des interrogations et parfois des réserves de la part des différents acteurs impliqués.

Une première série de questions concerne la portée de ce contrôle : le juge judiciaire est-il concrètement en mesure de vérifier le bien-fondé d’une mesure de contrainte, ou son contrôle se limite-t-il, en pratique, à la légalité formelle et procédurale de cette mesure ? Quelle est la portée du contrôle de légalité externe au regard des différents tempéraments légaux et jurisprudentiels qui entourent les mainlevées ? Enfin, dans un contexte où la charge de travail des JLD ne cesse de s’accroître, le contrôle du juge judiciaire ne s’expose-t-il pas au risque d’une « routinisation » ? A quelles conditions éviter un tel risque et donner du sens à cette garantie procédurale ?

Une deuxième série de questions concerne le domaine du contrôle, qui semble prioritairement centré sur la privation de liberté d’aller et venir (l’enfermement ou l’immobilisation), celle qui requiert l’intervention de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, au sens de l’article 66 de la Constitution. Qu’en est-il d’autres actes, mesures ou décisions couramment imposés, pour raisons thérapeutiques, aux patients hospitalisés sous contrainte, et dont les effets indésirables sur sa personne peuvent également être majeurs, à l’image des prescriptions et injections médicamenteuses (parfois qualifiées de « contention chimique ») ? Que choisit-on de contrôler et que laisse-t-on hors du champ du contrôle, et pour quelles raisons ? Peut-on envisager le risque d’un excès de contrôle et au regard de quels objectifs ?

Une troisième interrogation concerne la finalité de ce dispositif d’intervention judiciaire à bref délai, introduit par le législateur. Au-delà de la mise en conformité avec les exigences constitutionnelles et européennes, peut-on escompter que l’intrusion juridictionnelle dans le monde psychiatrique contribue progressivement à faire évoluer les pratiques dans le sens d’une limitation de la contrainte ? Quelles sont les alternatives et à quelles conditions les acteurs de la psychiatrie hospitalière, qui prennent en charge les patients au quotidien pour tenter de les aider à aller mieux, peuvent-ils « faire autrement » ? Est-il envisageable, en France, d’interdire purement et simplement le recours à la contention, comme l’ont fait d’autres pays ?

Le contrôle n’est pas uniquement celui du juge judiciaire, et ne porte pas exclusivement sur les justifications du recours à des actes de contrainte. L’intervention du JLD s’inscrit en effet dans un écosystème plus vaste du contrôle en psychiatrie. Le juge administratif conserve notamment une compétence pour connaître du contentieux indemnitaire mettant en cause l’hôpital, en particulier pour apprécier l’existence d’une faute de surveillance en cas de suicide du patient ou d’accident, le contrôle ne portant cette fois plus sur la justification de la contrainte mais sur le respect de l’obligation de sécurité pesant sur l’établissement. D’autres organes non juridictionnels, hétérogènes, interviennent également pour contrôler le fonctionnement de l’institution psychiatrique, qu’il s’agisse du Procureur de la République, du CGLPL ou des Commissions départementales de soins psychiatriques. La condition propre à certains patients au statut particulier, à l’image des mineurs, des majeurs protégés ou encore des détenus, fait également intervenir d’autres acteurs susceptibles d’exercer une forme de contrôle.

Rassemblant des juristes universitaires et praticiens, mais aussi des chercheurs d’autres disciplines, des professionnels du monde de la psychiatrie, ainsi que des patients, pairs-aidants et personnes issues du monde associatif, ce colloque organisé par le laboratoire Droit et changement social (UMR 6297), en partenariat avec le Lab-Lex (UR 7480) et le programme « Communauté mixte de recherche Droits humains, Capacités, Participation » (CNSA/IRESP), propose d’aborder et mettre en discussion ces différentes questions.

 

 

 

   

Inscriptions

Elles sont obligatoires et gratuites

Ouverture : 20/03/2024
Clôture : 09/04/2024

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Sur place:
Amphi B
UFR Droit
Nantes

 

A distance:
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